MA GUERRE DES SIX JOURS
Le lundi 5 juin 1967, c’était une journée bien ensoleillée comme à l’accoutumée en cette saison à Alexandrie, aussi elle était censé être le premier jour d’examen du second semestre de la première année, à la faculté d’Agriculture de l’Université d’Alexandrie. Par ailleurs, il c’était tout aussi vrai que la tension avait atteint son paroxysme au Moyen-Orient, suscitée par les humeurs belliqueuses du colonel Nasser qui ne ménageait sa peine pour jouer au grand défenseur des frères arabes et de la cause arabe avec ses discours provocateurs et populistes. Environ deux semaines auparavant, ma révision des cours fut interrompue par le discours de Nasser à la radio ; on n’avait pas encore la télévision à la maison, J’ai donc tout lâché pour aller l’écouter dans la chambre de mon père où se trouvait la radio. Mon vieux père était assis en pyjama et robe de chambre, sur un canapé à la turque, dit « canapé d’Istanbul », tout fumant sa pipe et dégustant son café turc. J’ai pris place sur une chaise devant lui pour écouter ce fameux discours. Entre autres, dans son discours, Nasser avait dit en parlant du président américain: « Si mister Johnson n’est pas content qu’il aille boire à la mer, et si la méditerranée ne lui suffit pas il a la mer rouge. » Une façon à peine polie pour dire « qu’il aille se faire voir ». Mon père commenta aussitôt, parlant de Nasser : « cet homme, est un mal élevé, il a besoin qu’on lui flanque une raclée ça lui apprendra la politesse. » Il me faut préciser que j’appartenais à la génération de la révolution, malgré ce que ma famille avait subi, du seul fait du pouvoir en place ; N’ayant pas de souvenirs de mon vécu sous la royauté, je n’ai connu que la révolution et par la force des choses j’étais imbibé de sa propagande parce que comme pas mal d’égyptiens je croyait ce qui se disait alors ; quant à mon père, il était resté fidèle au souvenirs du roi Farouk lui gardant toute son amitié.
Lundi matin, je me suis rendu à la fac pour passer la première épreuve d’examen, je ne me rappelle plus de quelle matière il s’agissait, prévue à 9 heures du matin. Il était 8h30 quand je suis arrivé au grand portail de la rue Platon, face aux cimetières chrétiens. Celui-ci était encore fermé et j’ai trouvé un certain nombre d’étudiants en train d’attendre devant. Leur nombre augmentait au fur et à mesure que les minutes passaient ; mais à 9 heures, ce fameux portail restait toujours fermé, gardé par les policiers qui appartenaient au corps des « gardes de l’université » du ministère de l’intérieur. Les étudiants commençaient à s’énervait invectivant les policiers, quand monsieur Hassanein, le chef du bureau des affaires des étudiants, est apparu, il descendit les marches de l’escalier et s’approcha des grilles pour nous annoncer que la guerre avec Israël venait d’éclater et les épreuves des examens ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre. Il nous conseilla de retourner chez nous. Des « Allahou Akbar » enthousiastes se sont fait entendre, et chacun se demandait ce qu’il allait faire. Les étudiants commençaient à se disperser, quand notre attention fut attirée par le bruit de voitures roulant très vite sur l’avenue El Horreya L’ancienne route d’Aboukir ; la fameuse artère principale qui longe la ville d’Alexandrie du centre ville jusqu’au palais de Montazah et qui était perpendiculaire à la rue platon. Nous nous sommes rendus quelques étudiants et moi, jusqu’au niveau de l’avenue. La circulation sur cette avenue avait été bloquée à toutes circulations sauf pour des véhicules militaires, parfois privés et quelques fois des taxis transportant des officiers en uniformes roulant à vives allures, dans le sens partant du centre ville, se rendant probablement aux casernes de Moustafa Pacha ou d’autres casernes plus loin. Le nombre de militaires en courses était impressionnant. Je me suis demandé, comment se fait-il qu’ils étaient rentrés chez eux la veille, n’étaient-ils pas sensé être en état d’alerte et dormir dans leurs casernes. Je ne savais pas, alors, qu’on avait déjà perdu la guerre en ce moment précis.
Certains étudiants, dont moi, animés par des sentiments patriotiques, sont retournés vers le portail de la fac pour demander à voir le lieutenant responsable des cours d’instruction militaire. Depuis la première année du lycée, l’équivalant de la classe de seconde, nous les jeunes étudiants égyptiens avions reçus une instruction militaire en raison de deux heures par semaine, certains d’entre nous avaient suivi des stages de « Saïka » ou commandos forces spéciales, nous savions nous battre et notre patriotisme était à point exacerbé. Un policier de la garde nous a indiqué qu’il se trouvait à la fac de commerce pour organiser avec d’autres le volontariat des étudiants et que les inscriptions se faisaient là-bas. Comme je l’ai déjà dit, j’étais imbibé de la propagande nassérienne, j’ai décidé donc, dans mon élan patriotique, de me porter volontaire. Je suis allé prendre le tramway pour me rendre au bureau de mon père, pour le prévenir de ma décision pour ne pas qu’il s’inquiète de ma disparition. Arrivé chez mon père je lui ai fait part de mon intention, en le quittant je lui fis mes adieux il me dit : « à ce soir », je lui ai répondu que ce soir on dormira à Tel-aviv. Mon père m’a répondu qu’il ne faut pas rêver, et me recommanda de prendre soin de moi. Je dois reconnaître à mon père qu’il était un démocrate, à aucun moment il n’a essayé de me dissuader, et me donna même quelques argents de poche pour la route. J’avais profité d’être chez mon père pour passer un coup de fil Mon ami Moustafa El Tabbaa’ pour lui en parler, c’était mon meilleur ami. Moustafa essaya de m’en dissuader craignant pour moi, mais je lui ai dit que j’étais décidé, il me recommanda de ne pas faire de folie. Ce cher Moustafa que Dieu ait son âme en paix est tombé en martyr sur-le-champ d’honneur quelques années plus tard lors de la guerre du kippour. Il était alors Capitaine dans l’infanterie. Quittant mon père, je suis passé à la maison récupérer mon uniforme militaire avec quelques sous-vêtements de rechange et le nécessaire de toilette le tout dans un sac de sport. Je suis parti de la maison après avoir dit à ma mère que je rejoignais les bataillons de l’université et qu’elle ne devrait pas s’inquiéter.
Me voilà rendu à la fac de commerce pour me faire enrôler et je me suis trouvé à faire partie du premier bataillon sur les deux constitués. J’ai fait partie de la première section constituée de trente-trois soldats, un caporal, et un lieutenant de réserve il était un officier de la marine marchande. Le bataillon était commandé par un lieutenant colonel de réserve, ce dernier boitait à cause d’une vielle blessure à la jambe. nous a remis un paquetage constitué d’un uniforme et des fameuses godasses militaires dont la semelle était fixée avec des clous. Pour ne pas répéter, ce qui a été publié maintes fois sur les causes de la défaite de juin 1967, je me contente de confirmer ce qui a été dit et écrit sur le paquetage individuel des soldats qu’il était défectueux. Chaque fois que des chaussures étaient distribuées, dés qu’elles étaient portées, nous nous retrouvions avec des blessures aux plantes des pieds causées par les clous plantés dans les semelles. L’on pourrait croire que ces chaussures étaient fabriquées par des israéliens pour le compte de l’armée égyptienne. Il me faut préciser nous recevions dans nos paquetages les mêmes chaussures qui équipaient l’armée égyptienne. Si nous analysons bien les conséquences, elles seraient sans doute l’une des causes principales de la déroute de l’armée égyptienne en 1967, causant des pertes par milliers parmi les troupes. Ceci explique aussi les photos de godasses neuves jetées sur le sable du désert du Sinaï. Notre bataillon avait reçu l’ordre de nous rendre à l’école anglaise « El Nasr School for Boys » qui nous servirait de base arrière. Cette école était mitoyenne de la fac d’Agriculture mais sa façade donnait sur avenue El Horreya. Dans l’après midi, nous avions reçu notre dotation en armes et munitions ; la première moitié du bataillon avait été dotée d’un fusil, semi-automatique, de fabrication égyptienne « Hakim 7,62 » avec dix balles pour chaque individu comme dotation de munition. Ces fusils étaient sans percuteurs, donc inutilisables. Quant à l’autre moitié du bataillon, elle a été dotée de vieux fusils belges, Moser 7,62 mais pas de munitions pour ces fusils. Nous disposions seulement de la cour et de quelques locaux, mais rien n’était prévu pour notre hébergement. Nous ne pouvions pas rester dormir sur place, ni disposions de moyens de transport, et pour seul moyen de communication nous avions une extension de la ligne téléphonique de l’école. Notre premier après midi de volontaires le Lt.Colonel, nous a informé que notre mission se résumait à la protection de la ville d’Alexandrie et qu’il attendait de plus amples instructions. Il y avait également un système de diffusion de communication interne à l’école, composé de microphone, d’un amplificateur et des haut-parleurs fixés dans différents endroits. Il y avait également un poste radio, pour écouter la radio du Caire, que le commandement laissait allumé afin nous d’informer sur l’évolution de la situation sur la ligne du front. Toutes les fréquences radios égyptiennes étaient rassemblées pour ne diffuser que les communiqués militaires et les chants patriotiques dont le régime de Nasser en avait le secret.
Je ne m’étalerai pas sur le déroulement des opérations militaires, d’abord je n’y étais pas et surtout, beaucoup de personnes plus qualifiées que moi ont longuement traité ce sujet. J’essaye seulement de décrire ce que je percevais de cet épisode et de livrer mes sentiments d’alors et mes réflexions bien plus tardives. A croire les communiqués militaires égyptiens, lus par le sinistrement célèbre Ahmed Saïd de la radio « Sawt el Arab », Israël aurait perdu prés du quart de ses avions de combats, abattus par notre glorieuse défense anti-aérienne rien qu’au premier jour des hostilités. Nous avions tous crus ce que disaient les communiqués, car le régime de Nasser présentait les forces armées égyptiennes comme étant l'armée la plus puissante du Moyen-Orient ou plus exactement selon les termes officiels « la plus importante force de frappe du Moyen-Orient. De Plus, nous savions tous que l’armée possédait des missiles capables de toucher n’importe quel objectif se situant au sud de frontières libanaises et ce à partir de notre territoire, selon les propres dires du Colonel Nasser quelques années auparavant. Nous avions vu ces missiles lors de parades militaires quelques années précédemment, il s’agissait des missiles « El Qaher et El Zafer ». Nous les jeunes égyptiens, nous avions foi en notre armée et nous étions tous prêts à nous battre et à mourir pour notre patrie. Dans nos discussions entres volontaires nous avions pensé que ces fameuses missiles ils les garderaient pour la fin. La nuit tombante, le Lt. Colonel nous renvoya chez nous munis de nos armes pour y passer la nuit et revenir le lendemain matin à 8 heures. C’était ainsi que s’achevait le premier jour de notre guerre. Mon père me voyant revenir à la maison me dit en souriant : « je te l’avais dit que tu rentrerais ce soir à la maison ». Je savais qu’il écoutait les nouvelles données par les radios diffusées en arabe
Les journées suivantes se ressemblaient au 1er bataillon de volontaires de l’université, les percuteurs réclamés pour les fusils « Hakim » et les munitions pour les Moser, tardaient à arriver comme si nous n’étions pas en guerre. Nous étions tous là à écouter les nouvelles de la radio sans pouvoir faire quelque chose d’utile à notre Egypte biens aimé. Nous étions tous bien entraîné nous avions quatre années d’instruction militaire pendant toute la durée des études secondaires plus l’année de fac écoulée, nous pouvons ajouter à cela, les périodes passées dans les camps d’entraînement estivaux, pour certains d’entre nous. Le fait intéressant, est survenu le 7 ou le 8 juin lors de l’appel du matin, un des officiers nous présenta un des camarades comme étant le héros du jour. En effet cet étudiant soldat rentrant chez lui le soir en empruntant la voie des berges du canal « Mahmoudiya » qui longe la ville D’Alexandrie par le sud, quand il vit une ombre humaine sortir de l’eau. Il pointa son fusil et somma de ne pas bouger en gardant les mains sur la tête. L’ombre s’immobilisa et s’exécuta, il s’agissait d’un nageur de combat israélien qui s’était égaré dans le canal et venant du port d’Alexandrie auquel le canal est relié. Des passants s’étaient rassemblés en entendant la sommation de notre camarade. Celui-ci sachant que son fusil était sans munitions, avait fait le geste d’armer son fusil tout en hurlant de toute sa voix sa sommation simulant qu’il était prêt à tirer pour se donner une contenance. Aidé par les passants munis de torches, notre ami a pu neutraliser le nageur de combat qui s’était rendu, ce dernier s’était tétanisé à la vue de l’attroupement de la foule autour de lui et fut emmené au commissariat du quartier. Je pense que cet incident mérite un arrêt sur image pour pouvoir apporter une réflexion. Supposons que le nageur de combat israélien, avait tenté de résister à son arrestation ou que notre camarade aurait laissé transparaître une quelconque hésitation sachant qu’il n’avait pas la possibilité de tirer ? Je n’ose pas imaginer la suite. Notre ami serait peut-être mort si l’israélien s’était défendu. Oui, mort bêtement et par la faute et l’inconscience de ceux qui détenaient le pouvoir en Egypte et ceux qui organisaient la défense des installations. Bref, cet incident a mis la puce à l’oreille des autorités militaires, qui en donnant l’alerte, ont pu arrêter à temps d’autres nageurs de combats venus pour des missions de sabotages.
Le neuf juin 1967, une intervention télévisée et radio diffusée du président Nasser avait été annoncée et nous avions passé la journée à l’attendre. Les communiqués militaires affirmaient que nos troupes pour des raisons tactiques s’étaient retirées dans l’ordre pour se regrouper derrière la seconde ligne de défense. Tout le monde autour de moi pensait qu’il y’aurait un plan infaillible pour battre les israéliens et libérer la Palestine. Cette intervention eut lieu aux environ de 8-9 heures du soir. Nasser, pour être bref, d’une voix qui transpirait la détresse mixée à pas mal de comédie, il entreprit un préambule dans lequel il exposa que l’Egypte avait subie une Naksa ou un rechute qu’elle pourra dépasser, il poursuivit par une analyse de la situation, mais sa meilleure trouvaille fut qu’il attendait l’ennemi venant par le nord ou l’est mais que celui-ci est venu par l’ouest, drôle d’aveu de la part d’un ancien militaire. Ensuite souligna que les portes avions américains et britanniques étaient intervenus dans le déroulement des opérations tout cela pour nous dire que ce n’était pas sa faute mais celle des américains des britanniques. Bref il était évident qu’il prenait les égyptiens pour des crétins, il n’était pas le premier mais lui vraiment avait fait fort et ça a marché. Il évoqua de grandes batailles de chars et de combats aériens, pures balivernes, mais on l’avait cru nous les crétins!! Il annonça que l’Egypte avait accepté lé cessez-le-feu puis il prit la voix du brave type qui se sacrifiait pour sauver ses amis, il déclara qu’il était seul responsable de la défaite ou la « naksa » et annonça qu’il avait pris une décision qu’il demande au égyptiens de l’aider à l’accomplir, celle de s’écarter de toute fonction politique ou officielle pour finalement désigner Zakaria Mohiï el Dine pour assumer la fonction de président de la république. Et pour terminer son discours il rappelle aux égyptiens les réalisations de la révolution. Pas une seule de ses réalisations n’avait porté ses fruits, quelle démagogie !! Plus le temps et les années passent plus je trouve que Nasser était un être machiavélique et cruel. Personne, parmi nous, n’avait pu mesurer l’ampleur de la catastrophe. Dans la journée les communiqués militaires était encore triomphant, la seconde ligne de défense dont il était question on croyait qu’elle se trouvait à une cinquantaine de kilomètres ou quelque chose de la sorte mais personne ne se doutait que cette ligne était la rive occidentale du canal de suez. Le choc fut terrible, beaucoup de questions restaient sans réponses. Pourquoi n’a-t-on pas utilisé les missiles dont on avait parlé! Mais que faisaient donc les services de renseignements. Pourquoi a-t-on entrainé l’armée égyptienne dans une guerre quand la balance des forces était en déséquilibre. Une stupeur générale a régné sur le bataillon ; l’observateur pouvait voir la désillusion, l’humiliation et la détresse sur les visages de tous ces jeunes, je dirai même, que nous étions dans un état d’anéantissement indescriptible. Des points d’interrogations traversaient nos esprits mais restaient désespérément sans réponses et personne n’était là pour nous répondre. D’après tous ces communiqués militaires dont notre radio nous bombardait, il ne devait plus rester grand chose, comme avions de combats, à l’armée de l’air israélienne. Comment alors était arrivée cette défaite ? Mais où était donc passé notre puissante armée qui pavoisait lors des parades militaires, le 23 juillet de chaque année, anniversaire de la soit disant révolution ?
Dans sa détresse, un de nos camarades a sombré en dépression, il tenta de se suicider. Munis d’un fusil Moser, Il subtilisa une balle, arma son fusil et voulu se tirer la balle dans la tête. Ses camarades qui se trouvaient prés de lui l’en ont empêché en le ceinturant et en lui arrachant son fusil. Nous l’avons conduit chez le commandant qui l’avait gardé dans son bureau et le raisonna jusqu'à ce qu’il se soit calmé. Puis ce fut l’heure de rentrer chez nous, en route j’ai pu voir le peuple qui était sorti manifester son désarroi face à l’incompréhensible défaite. Mais j’ai vu aussi les manipulateurs qui invitaient les gens à se rendre manifester devant le siège de l’union socialiste arabe, le parti unique de l’époque qui se trouvait à Manchïya place Mohamed Ali Pacha, scandant leur attachement à Gamal Abdel Nasser, c’est ce qu’ils ont fait par habitude « ces crétins », expression que j’emprunte au Roi Fouad I qu’il utilisait en français pour désigner la populace d’égyptiens quand il parlait de ceux-ci. Il était visible que des individus avaient pour mission de canaliser la foule et d’influencer pour que l’émotion populaire aille dans un sens voulu par le pouvoir en place. Du moins c’est ce que j’ai pu constater puisque je rentrais à pied en marchant lentement, j’ai pu observer ce soir là, ce qui se passait dans les rues ; je n’étais pas le seul qui ait pu observer ces agissements, d’autres l’ont vu et entendu plus que moi, et me semble-t-il certains l’on écrit. Mais Dieu merci Il ne s’agissait pas de tout le monde, d’autre plus futés s’étaient resté chez eux en attendant d’y voir un peu plus clair. J’ai emprunté cette expression parce qu’avec le recul, et ce que nous avions appris, les foules avaient agît comme des crétins manipulés, mais je pourrais comprendre leurs désarrois.
Une fois, rentré chez moi, j’ai retrouvé mon père, comme à l’accoutumé entrain d’écouter la BBC, puis Radio Monte-Carlo, ensuite la Voix de L’Amérique. Je me suis changé et rangé mon fusil sous le lit, puis, je suis allé m’installer face à lui pour prendre une tasse de thé. Je ne disais rien. Mon père n’était pas un homme à faire du triomphalisme quand les événements lui donnaient raison, il me dit : « ne soit pas attristé, on ne pouvait pas gagner cette guerre, tu as bien vu comment Nasser s’y était pris, il aurait mieux fait de la fermer ! ». Oui, Nasser aurait mieux fait de la fermer, plutôt deux fois qu’une. A vrai dire je me sentais soulagé qu’il s’en aille, l’idée qu’il y ait un changement à la tête de l’état ne me déplaisait pas, mais un sentiment incompréhensible me faisait craindre le pire. Le lendemain, le 10 juin, tout le monde était dans le bleu on ne savait pas qui gouvernerai l’Egypte, les media continuaient à annoncer un communiqué de monsieur Zakaria Mohiï el Dine qui tardait à arriver les foules avaient envahi le Caire et la situation intenable. Puis, les medias se sont transportés à l’assemblée nationale pour la diffusion de deux communiqués celui de Zakaria suivi de celui de Nasser. L’un pour annoncer le refus de Zakaria de succéder à Nasser à la présidence, et l’autre dans lequel Nasser accepte la volonté du peuple de le maintenir à sa place, et la boucle était bouclé, quelle déception, oh oui j’étais déçu, ce looser venait de se faire appeler pour la deuxième foi de héro.
J’ai continué à me rendre tous les jours au bataillon, mais le cœur n’y étais plus, tous le monde sait ce qui s’était passé par la suite. Il fallait vraiment se rendre à l’évidence que la guerre était perdue, alors nous passions notre temps à discuter avec amertume ne sachant rien de ce qui s’était passé. Puis un jour de la semaine qui a suivi, le chef du bataillon décida de nous emmener pour un exercice de tir dans un camp d’entrainement à Mex une banlieue située à l’ouest de la ville d’Alexandrie. Nous y avons été conduit par camions militaires, et chacun d’entre nous avait tiré 6 balles avec une mitraillette Port-Saïd, de fabrication égyptienne, et surtout de conception rustique et peu fiable, de telle sorte que même si elle était sécurisé et qu’elle tombait par terre le mécanisme de tir se déclenche tout seul et le réservoir se vide. Je laisse au lecteur le soin d’imaginer le reste et les conséquences.
J’ai informé mon père de mon intention de quitter le bataillon de volontaires et de préparer mes examens, c’était ce qui me restait de mieux à faire, je ne pouvais plus redonner ma confiance à ce pouvoir ni à ces symboles. Depuis le 9 juin au soir Nasser n’était plus mon président. Oui ! Cet homme nous avait menti, il avait conduit l’Egypte à la défaite et à l’humiliation et il aurait mieux fait de partir s’il lui restait un brin d’honneur et d’amour propre. Je laisse cela au tribunal de l’histoire, l’histoire véridique, non pas celle écrite par les falsificateurs qui tentent de noyer la vérité, mais tout finira par apparaître au grand jour.
Dès le lendemain du neuf juin, pendant le rassemblement du matin, plus personne n’avait le cœur à scander « vive la république arabe unie » ! Nous étions tous comme des zombies aussi effondré comme l’Egypte l’était. Le soir Nasser avait retiré sa démission sur insistance des mouvements populaires. Il m’a fallu attendre encore deux trois jours après notre fameux exercice de tir avant d’aller trouver le Lt. Colonel et lui dit : « Monsieur, ce n’est pas pour me défiler mais je pense que ma présence ici, maintenant n’a plus aucun sens, je voudrai quitter le bataillon pour préparer mes examens à venir. » A mon grand étonnement le Lt colonel m’a donné raison. Il est sorti avec moi de son bureau et appela au rassemblement. Il annonça la dissolution du bataillon. La matinée a été passée en formalités pour le désarmement du bataillon. Une fois tout cela terminé, je suis rentré chez moi pour écouter les émissions en arabe des radios étrangères. Petit à petit l’ampleur des dégâts commençait à voir le jour vérités que les détenteurs du pouvoir sortaient savamment par bribes, pour éviter une révolte.
C’est ainsi que se termina ma guerre des six jours, sans avoir tiré une seule balle de fusil en direction de l’ennemi. Je me suis trouvé avec tous mes rêves anéantis, sans aucune perspective d’avenir, ni d’espoir à nourrir, même pas la joie de vivre pour nous faire oublier sans parler que l’insouciance propre à la jeunesse nous avait quitté. J’ai vécu ces moments douloureux avec le sentiment d’être mort dans un combat virtuel, croyez moi c’était bien pire que la vrai mort, car une fois morte la personne ne souffre plus mais cette mort là ressemble à celle de l’enfer dont nous parle les livres saint, on meurt et on continue à souffrir c’était exactement cela. Nasser avait détruit notre génération et d’autres après nous, il entraîna l’Egypte dans une guerre qu’il n’avait pas préparée, ajouté à cela il avait usurpé le pouvoir deux fois. La première, il avait évincé le général Naguib pour s’accaparer le pouvoir en 1954 tandis que la deuxième fois, il s’était fait plébisciter par la tricherie et les manœuvres douteuses le 10 juin 1967. De toute façon tous étaient des usurpateurs.
Il ne faut pas se laisser berner par les apparences, les mouvements des foules, ces 9 et 10 juin était bel et bien une grande manipulation. Nasser, au bout de 15 années de pouvoir, avait fini par se faire déifier, comme faisait les pharaons de l’Egypte antique. Le peuple Egyptien, depuis l’antiquité, adorait ses pharaons. Son adoration pour Nasser rentrait tout à fait dans ce cadre. Les Egyptiens ne sont pas des imbéciles mais souvent agissent en crétins, en se laissant emporter par leurs sentiments, c’est qu’a fortiori ce sont des sentimentaux. Nasser exploita ce point et dans son discours il s’était présenté en martyr, et feint de vouloir se sacrifier assumant seul la responsabilité de la défaite qu’il appela « Naksa ou rechute » dans son discours. Il avait parié sur leur attachement traditionnel à leur leader et emporta son pari après les avoir dupés. Mais ceux qui ne s’étaient pas laissé berné par la manœuvre s’étaient tut, car tout le long de son exercice du pouvoir il s’était évertué à mater toute opposition, le plus souvent sous la torture et dans le sang voire purement et simplement par la liquidation physique. Ils avaient déjà fait l’expérience. Les jours qui suivirent, on pouvait observer, une certaine forme d’opposition se dessiner. La population devenait allergique à la vue de l’uniforme de l’armée Egyptienne. Le temps où cet uniforme inspirait la crainte, le respect et la force, était révolu, maintenant toute personne portant l’uniforme se faisait insulter, et pouvait même se voir cracher dessus. C’était là le revers de la médaille. Tout cela prouvait que le peuple Egyptien était moins aveugle qu’on le pensait, du moins il avait perdu toutes ses illusions même s’il s’était résigné à souffrir en silence. Quant à moi je formulerai une autre thèse qui nous donnerait un aspect moins crétin. Si le mouvement des foules du 9 juin 1967 était une façon que la population de faire comprendre à Nasser « maintenant que tu nous a conduit à cette ruine, tu ne te dérobera pas à ta responsabilité et tu devras nous sortir de cette situation », et le voila pris dans son propre piège ce qui lui couta sa santé et sa vie.
Sincèrement, je pense que la défaite subie par l’armée Egyptienne n’était en aucun cas due à la suprématie de l’armée israélienne, mais plutôt à l’absence d’un commandement Egyptien digne de ce nom. Commander c’est prévoir, et ce commandement n’avait rien prévu, il était occupé à bien d’autres choses que la raison de leur existence. Cette défaite Nasser et ses acolytes seuls l’avaient mérité. Ils avaient critiqué le feu Roi Farouk pour ce qui s’était passé en Palestine en 1948 était certes une défaite, mais ce qui s’était passé en 1967 était bien pire, c’était l’humiliation voire la catastrophe ! J’aurais aimé savoir, quel était le sentiment du très célèbre « Raa’fat El Haggan » la fameuse taupe Egyptienne implantée en Israël, quant il apprit l’humiliante défaite de l’armée égyptienne, lui, qui avait sacrifié des années de sa vie pour servir son pays ; tant de sacrifices pour rien. S’étaient-ils préparé à la guerre ? avaient-ils fait ce qu’il fallait ? S’étaient-ils comportés comme il convenait ? Fabriquaient-ils leurs armements ? Ont-ils fait ce qu’il fallait, avaient-ils conçu des plans pour cette guerre ? La réponse à toutes ses questions est toujours Non. La vérité est que Nasser n’était qu’un fanfaron qui avait peut être du charisme populiste mais doublé d’une ignorance et d’une vue qui n’allait pas plus loin que le bout de son nez et d’une mauvaise foi à toute épreuve. Le 10 juin 1967 l’Egypte est sorti de l’Histoire, par sa faute ; tout ce qui s’en est suivi après cette date n’était que les soubresauts d’un moribond.
Oui Nasser, cet homme, qui avait prêté serment un certain 23 juillet 1957 lors de l’inauguration de l’Assemblée Nationale égyptienne, il avait dit textuellement : « Je jure par Dieu le Grand, de préserver le régime républicain, de respecter la constitution et la loi, de prendre soin des tous les intérêts du peuple et de préserver l’indépendance de la patrie et l’intégrité de ses territoires ». Qu’a-t-il fait ce monsieur le 9 juin 1967, ce monsieur tenta de se dérober en rendant au peuple un pays dont le régime était chancelant, économiquement ruiné, avec une constitution suspendue et gouverné sous la loi de état d’urgence, totalement soumis à l’hégémonie soviétique qui fut le principal créancier, et amputé de 1/5 du territoire qui se trouvait sous occupation israélienne, sans parler d’une armée en lambeaux avec ayant perdu tout son armement. Et ce n’est pas fini, le comble, il ya encore des gens qui osent l’appeler le héros de la nation ou le héros de l’indépendance. Je comprends qu’on on nous regarde et qu’on nous écoute avec un sourire moqueur, on doit penser que nous sommes un peuple d’imbéciles.
Situation misérable et pathétique, c’est mon opinion que je défendrai toujours de toutes mes forces. Passer outre l’ordre du retrait, on serait certes passible de mener devant un tribunal de guerre mais à mon humble avis, cela aurait dû être l’attitude des troupes égyptiennes, il ne faut pas avoir fait de hautes études militaires si tout le monde avait avancé en direction de l’ennemi, même sans couverture aérienne. Cette situation, si elle s’était produite, aurait posé un gros problème aux israéliens que des troupes aient fait une percée au travers de leur frontière ce qui aurait rendu la tache de l’aviation israélienne plus difficile. Le soldat égyptien est courageux, malheureusement notre commandement de l’époque ne pouvait qu’être taxé de lâcheté de trahison ; je ne peux pas dire le peuple égyptien qui était resté tétanisé chez lui, mais je parle de ses foules de « crétins » manipulés qui sont sortis aduler un sacré menteur le suppliant de revenir sur sa décision de quitter le pouvoir, au lieu de lui faire subir le même sort que les Italiens avaient réservé à Mussolini, Il ne méritait pas autre chose. Mais la stratégie du mensonge l’avait emporté, et une bonne partie des miséreux avait gobé la supercherie. Le peuple égyptien le 9 et le 10 juin a raté une occasion en or de se débarrasser de son tyran qui avaient causé sa perte. Gamal Abdel Nasser est, et restera toujours, responsable de la mort de plus de onze mille Martyrs 10 000 soldats et 1500 officiers selon ses propres déclarations, sans compter le nombre faramineux de blessés qu’il a omis de déclarer. Il va sans dire que c’est la seule source de renseignements dont nous disposons, tandis que nous savons tous que cela faisait longtemps qu’il pratiquait la désinformation. Je me rappelle que dès le premier jour de la guerre tous les hôpitaux ont été vidé des malades qui y séjournaient sans ménagement et sans se préoccuper des conséquences de cette acte sur leur état de santé, mêmes les hôpitaux psychiatrique n’ont pas dérogé à la règle, ils ont aussi été vidés des malades renvoyés dans leur famille. Je n’aimerai pas être à sa place le jour du jugement dernier quand il comparaitra devant son créateur.
Quand je pense qu’on ait pu reprocher au Roi Farouk son implication dans ce qui a été appelée l’affaire des armes défectueuse en 1948, le Roi était de par la constitution le chef des armées et n’était pas un militaire, pour faire face à l’insuffisance en armement dont souffrait l’armée il avait donné l’ordre à ceux qui s’occupait de l’équipement de l’armée de se procurer des armes par n’importe quel moyen. C’est lui en tant que commandant suprême de l’armée qui donna à l’armée de se mettre en mouvement en direction de la Palestine. Lui reproche-t-on la défaite de l’armée égyptienne en 1948, mais honnêtement, peut-on comparer cette défaite avec la cuisante défaite qui aboutit au quasi anéantissement de l’armée égyptienne en 1967. Mais à supposer que cette affaire d’armes défectueuses est vraie et ce n’est pas le cas, qu’ont-ils fait de mieux ces messieurs du coup d’état. N’était-il pas vrai que l’armée égyptienne recevait en dotation le matériel réformé des armées du pacte de Varsovie, et de ce fait elle leurs servait de poubelle pour se débarrasser de leur matériel obsolète ? Finalement, aujourd’hui, je suis convaincu que l’armée égyptienne était seulement conçue et formé pour se battre seulement sur le plan intérieur contre le peuple égyptien et le maintenir sous une chape de plomb, d’ailleurs elle n’a jamais remporté la moindre bataille de celles qu’elle a engagée jusque là. Je pourrai reprendre des exemples connus Cette nouvelle situation de défaite humiliante ne pouvait que déclencher des « flash-back » évoquant des scènes auxquelles j’ai assisté auparavant, je me contente de raconter ici une scène que j’ai vu se dérouler devant mes yeux. Cette scène poignante s’était produite lors de mon passage pour les deux jours d’examens du service national. Ce fut au printemps de l’année 1965, ayant atteins ma dix-huitième année, j’ai été convoqué pour passer la visite médicale et d’aptitude pour le service militaire, lesquelles qui se déroulaient à l’époque dans les casernes de Moustapha-Pacha. Toute la classe d’âge du quartier était convoqué ce jour là, certains qui étaient scolarisé devaient être munis de certificats de scolarité pour obtenir un ajournement sinon ils en auront pour trois années de service militaire et c’était un calvaire, ceux qui l’ont expérimenté savent de quoi je parle. Donc nous y étions rassemblés sous un préau en plein milieux de la caserne et nous étions entrain de remplir des formalités, opération dirigé par un sergent chef moustachu aux allures de voyou gardien de prison, et nous étions rangés en forme de U. Quelques jeunes parlaient entre eux et il y avait une sorte de brouhaha qui couvrait la voix du sergent, celui-ci furieux se mit à crier demandant le silence sous peine de nous voir tous retenus à la caserne pour passer la nuit. Un jeune gaillard qui n’avait pas l’air d’avoir de l’instruction s’était mis à rigoler, c’est alors que l’ayant vu le sergent le somme de se présenter devant lui sur le champ. Il lui ordonne de maintenir la position fixe et de ne bouger sous aucun prétexte, ensuite il lui dit : « tu te foutes de ma gueule ? » lui flanque une gifle magistrale puis une autre du revers de la main sur l’autre joue. Le garçon leva les bras pour protéger son visage, et là le sergent lui ordonne de baisser les bras et de se maintenir fixe puis recommença à le gifler. Ainsi le jeune homme a reçu une douzaine de gifle sans rien dire. Le sergent lui dit « j’espère que tu as compris maintenant, retourne à ta place et tiens toi comme il faut». En mouvement pour regagner sa place le jeune-homme pour montrer qu’il n’était pas affecté il tira sa langue, mais le sergent l’a vu. Il courut vers lui l’attrapa par la peau du coup et lui donna une raclée sans merci et sans pitié. Oui il le roua de coup de poing, de coups de genou, de coups de pieds et de gifles et au bout d’une vingtaine de minutes quand il fut fatigué, le sergent, il lui cracha dessus. La scène était insoutenable mais personne n’a bougé tellement le fait que nous étions dans une caserne de l’armée nous terrorisait tous. Moi je souffrais j’ai eu du mal à me contenir vu mon caractère et mes traumatismes, ce fut un exercice périlleux, je bouillonnais intérieurement mais il me fallait rester maître de moi-même. Voila ce que les militaires était capables de faire au pauvres égyptiens sans défense. Si le jeune-homme avait été issu d’une famille privilégié de l’époque personne ne l’aurait touché même qu’il n’aurait même pas eu besoin de se déplacer. Chaque fois que je pense à cette scène je sens la colère monté en moi, j’aurais souhaité pouvoir intervenir et je m’en voulais au fond de moi pour ne pas l’avoir fait; parfois je me demande ce qu’il est advenu de ce sergent et j’espérais au fond de moi qu’il a payé un jour ce qu’il a fait. J’étais jeune et de surcroits je n’avais pas l’expérience de la vie, cette scène m’avait traumatisé, mais le ciel dans sa clémence m’a donné une deuxième chance. Cette scène s’était répété dix ans plus tard quand j’ai effectué mon service militaire dans la marine égyptienne, mais cette fois j’ai eu l’occasion d’intervenir et de rendre justice à la victime, hé oui entretemps j’ai eu des amis bien placés et j’avais acquis plus de courage mais par-dessus tout j’avais bien compris le système ce qui m’a permis de l’exploiter à fonds. J’en reparlerai donc dans un autre chapitre.
Le plus navrant est que de nouveaux slogans ont vu le jour pour que le régime resserre sa reprise en main du pays. Il fallait que tout soit mis en œuvre pour effacer les traces de l’agression, et qu’aucune voix ne soit plus audible que le bruit de la bataille. Il ne restait plus au pauvre peuple égyptien son recours traditionnel à la dérision pour évacuer la pression sous laquelle il vivait. Nous sommes un peuple de blagueurs et c’est à cette époque que j’ai entendu les blagues les plus drôles que j’ai entendus de ma vie on devrait en faire un recueil un jour, pour la postérité. Tout a été mobilisé pour la reconstruction de l’armée et du pays on partait faire sons service militaire et on ne quittait plus l’armée, l’Egypte était devenue une grande prison de laquelle ne pouvait sortir que le quelques privilégiés ou les chanceux. Bref ce fut un sentiment d’étouffement qui régnait sur le pays tout entier. Les artistes entre autre avaient été mobilisés pour composer des chansons qui remonteraient le moral de la population. Une de ces chansons fut écrite et chantée par le grand chanteur compositeur Farid El-Atrach dans laquelle il chantait «Notre peuple est le peuple du sacrifice……. car la guerre est ainsi faite d’attaques et de retraits …. Ne dis pas que l’espoir est perdu, la vanité aura son tour», il l’avait chanté d’une voix si triste voire pleurnicharde, qu’elle fut la chanson la plus lugubre qu’il m’était donné d’entendre. C’est depuis cette époque que j’ai vraiment ressenti de la haine pour ce régime notre jeunesse avait été sacrifiés en vain.
J'ai entrepris d'élaborer ce blog pour rétablir la Vérité et la Justice sur la vie et le règne du Roi Farouk I(que Dieu l'ait en sa Misericorde et accorde la paix à son âme)
jeudi 16 octobre 2008
L'année noire
Ma classe de 9ème, L’année Noire
Ce fut une année pleine d’épreuves dures pour toute la famille, nous sommes en 1955, j’étais en classe de 9ème en tout début d’année scolaire. Mon frère Mahmoud-Azmi qui travaillait comme journaliste, je pense que c’était au « journal d’Egypte », avait été recruté par les services de renseignements égyptiens. Je ne sais quelle mouche l’avait piqué pour accepter de travailler pour ces gens, lui qui avait débuté sa carrière sous le règne du feu Roi Farouk, et qui avait côtoyé les grands de la nation. Peut être que c’est l’illusion de la gloire ou le syndrome de l’agent secret qui l’avait fait tomber dans l’escarcelle de ces monstres sans foi ni loi qui ne connaissent aucune barrière morale ou religieuse ni aucun sens de l’honneur. Ils lui ont fait suivre un stage de commandos pour le former aux techniques de combats, et d’autres formations qui s’imposent dans ces cas. Il avait infiltré un important réseau d’espionnage israélien en Egypte, piloté de l’étranger. Il était obligé de voyager souvent. Je suis désolé de ne pas connaître tous les détails, mais il faut comprendre que je n’avais que neufs ans à l’époque, et mon père était le seul à être au courant avait totalement occulté cette affaire pour protéger sa famille et son fils et de part son caractère c’était une tombe quand il s’agît de secret. D’après ce que j’ai pu retenir est qu’un désaccord est survenu entre mon frère et sa hiérarchie à propos d’un voyage qu’on lui demandait d’effectuer pour filer un dénommé Rouchdi Alchawa qui partait pour Athènes où il devait rencontrer une personnalité Israélienne. Mon frère avait une objection, cette filature risquait de le démasquer en tant qu’agent infiltré aux yeux du réseau et mettait sa vie en danger. Résultat, sa hiérarchie au sein du service de renseignements égyptiens, a estimé que mon frère s’était rendu coupable d’insubordination, son chef a décidé de le soumettre à la punition corporelle, il fut donc fouetté. J’ai le souvenir d’un soir, mon frère et de mon père en conciliabule à voix basse, dans la chambre de mon frère, quand je suis rentré dans la chambre de mon frère que j’aimais beaucoup. Ils m’ont dit de sortir de la chambre, mais j’avais eu le temps d’apercevoir que le dos de mon frère était couvert de stries ensanglantées c’était les marques du fouet. La femme de mon frère qui était enceinte était dans sa famille au Caire, mon frère, quant à lui, devait voyager à l’aube. Je suis allé me coucher et le lendemain quand je me suis réveillé, mon frère était parti et je ne l’ai revu que 17 ans plus tard, à Paris.
Mon père qui était journaliste et propriétaire du journal Itihad el-Charq, avait un bureau au centre ville, ce bureau se trouvait au n° 12 rue Mahmoud Pacha El Falaki, au premier étage de l’immeuble appartenant au Comte Miguel Debanne, dont les armoiries où figuraient trois mouches alignées ainsi qu’une couronne, étaient sculptées sur le mur dans le hall de l’immeuble. Cet immeuble faisait l’angle avec le boulevard Saad Zaghloul, une position stratégique du centre ville. A l’origine le bureau était constitué de quatre grandes pièces, dont j’ai le souvenir, depuis avant la révolution, quand mon père le partageait avec Monsieur Elie Politi qui était propriétaire du journal « l’Informateur Financier et Commercial » tandis mon père était le correspondant du journal « El Balagh », journal officiel du parti Wafd. Mon père offrait l’hospitalité de son bureau à Fouad Serag-el-din Pacha, pour l’utiliser comme son bureau quand il se trouvait à Alexandrie. Celui-ci était un des ténors du parti Wafd et ancien ministre de l’intérieur du gouvernement de Nahas Pacha, sous le règne du feu Roi Farouk que Dieu l’ai en miséricorde. Il y avait aussi à l’étage deux grandes pièces de bureaux des deux frères architectes les Frères Thabet, dont l’un s’appelait Ali Thabet. C’était des gens discrets sérieux et de très bonne famille. Mon père occupa seul ce bureau depuis la cessation de son ami Elie Politi d’exercer le métier de journaliste au journal l’informateur, lequel journal, il avait également cédé à mon père suite aux problèmes qu’il avait eu avec le fameux tribunal de la révolution qui l’avait déchu de sa nationalité égyptienne par décision du 3 juin 1955. Au rez-de-chaussée, il y avait des locaux commerciaux tout au tour dont la fameuse Pharmacie Matta qui occupait l’angle avec le boulevard, juste sous l’ancien bureau de mon père. Elie Politi était un juif arrivé de France vers la fin des années 20 du siècle dernier. Il était totalement désargenté quand mon père l’avait connu, mais c’était quelqu’un de brillant. C’était vers cette époque que mon père fit sa connaissance, il lui avait trouvé un travail pour lequel il fut payé 6 riyals équivalant à une Livre et 20 Piastres. Le terme riyal était utilisé pour désigner la somme de 20 piastres que moi-même avait connu et utilisé dans mon enfance. Selon les dires de mon père ce montant lui permettait de se nourrir, de s’habiller, de payer son loyer et même de faire des économies. Il fonda L’informateur Financier et commercial journal hebdomadaire qui paraissait en langue française. Quelque temps plus tard, il a travaillé puis à la Banque Egyptienne du Commerce et très vite il grimpa les échelons et devint le directeur de la banque. Il devint rapidement très riche et accéda au conseil de l’administration de la banque dont il posséda les trois-quarts des actions. Cet autodidacte fut certainement un homme travailleur et surtout très intelligent. Il fut également promoteur immobilier et aida au développement de la nouvelle ville de Moqattam près du Caire mais aussi la station balnéaire de Maamoura à l’est d’Alexandrie limitrophe du palais de Montazah. Il s’était associé également avec Mahmoud Abou El-Fath pour la création du journal El-Masry qui fut un journal politique très influent durant les années 40 et 50.Mahmoud Abou El-Fath fut le rédacteur en chef de ce journal auquel étaient associé de grands noms de journalistes tels que Simon Baranes. Ce journal fut fermé par les autorités du coup d’état en 1954. Mais malgré cette ascension sociale fulgurante il garda une amitié sans faille pour mon père. Quand il fut déchu de sa nationalité égyptienne, je ne sais pour quelle raison, peut être pour saisir sa fortune car il a été mis sous séquestre ou pour d’autres raisons car il faut signaler que son associé Mahmoud Abou El-Fath avait été déchu auparavant de sa nationalité égyptienne en septembre 1954 et qu’il fut jugé par contumace pour trahison. Plus tard, Elie Politi fut expulsé d’Egypte ainsi que sa famille en 1956 à la suite de la guerre de Suez. Ils s’étaient rendus en France pour s’y établir et nous n’avons plus eu de leur nouvelles. Je n’ai pas de souvenir personnel de Monsieur Politi mais mon père disait toujours du bien de lui mon mes seuls souvenirs de lui étaient les jouets qu’il me faisait parvenir quand j’étais enfant. Quand j’ai quitté l’Egypte en 1970 je me suis établie en France j’ai recherché leurs coordonnées, j’ai appelé et c’est madame Politi qui m’avait répondu, je m’étais présenté, elle avait reconnu mon nom elle fut contente d’avoir des nouvelles d’Egypte mais s’excusa de ne pas pouvoir me recevoir car son mari était décédé et qu’elle-même était d’un âge très avancé. Oh combien j’aurais aimé écouter ses souvenirs, hélas !
Mon père avait toujours témoigné un grand respect et une grande loyauté envers le Roi Farouk. Il me racontait parfois quand j’ai grandi que le Roi Farouk le traitait avec beaucoup d’égard alors qu’il était juste un correspondant parce que mon père, contrairement à beaucoup de journalistes de l’époque, n’avait jamais dit du mal de lui. Aussi, un jour qu’il n’avait pas été invité par le « Diwane » ou le cabinet royal, à une des réceptions royales au palais de Ras-el-Tine, le Roi avait remarqué l’absence de mon père, il demanda au responsable : Où est Ibrahim el Gohary ? Quand le Roi avait appris que mon père n’avait pas été invité, s’était mis en colère et exigea qu’on le ramène de suite ! Ses propos ont été relatés par le responsable qui avait contacté mon père et lui demanda de se rendre immédiatement à la réception. En fait mon père avait subis les conséquences d’avoir fait honorablement son métier. Il s’agissait de la dénonciation d’une grande affaire de corruption appelé à l’époque « l’affaire Smouha » dans laquelle était trempé l’ancien directeur des douanes d’Alexandrie. Ce monsieur fut sorti d’affaire grâce à son cousin Ismaïl Sidki pacha ancien premier Ministre et l’affaire fut classée. Mais ce monsieur dans sa rancune s’en était pris à mon père et le fit évincer du conseil de l’administration de la Chambre de Commerce d’Alexandrie, dont il était l’un des fondateurs, car mon père avait commencé sa vie professionnelle comme marchand de bois. Allant plus loin ce monsieur voulant nuire à la carrière de journaliste de mon père usa de l’influence de son cousin Sidki pacha pour annuler l’accréditation de mon père au Palais Royal et ce fut chose faite jusqu’à ce que le Roi Farouk rétablisse la situation, une fois qu’il fut au courant des détails de l’histoire les invitations officielles arrivait désormais au nom d’Ibrahim Bey el Gohary sur ordre de sa Majesté. Mon père garda une sorte de gratitude pour le Roi Farouk pour sa bienveillance et lui voua une amitié sans faille et absolument gratuite au Roi Farouk, ce n’était pas un homme qui courrait derrière les titres. Je cite ici mon frère Hussein que Dieu l’ait en sa miséricorde, il avait travaillé comme employé de banque puis comme journaliste avec mon père après la fin de ses études au collège saint Marc. Hussein, la tête brûlée de la famille, m’avait raconté : « Quand, les officiers du conseil de la révolution ont pris le pouvoir, parmi les papiers trouvés dans le palais royal, il y avait une liste où figuraient les noms des journalistes qui recevait des sommes d’argent provenant des fonds secrets alloués par le Palais pour acheter la bienveillance des journalistes, pour ne pas médire du Roi. En effet, Papa a été le seul journaliste d’Alexandrie dont le nom ne figurait pas sur cette liste. Le nouveau pouvoir en place ayant pris connaissance de ce fait, ses représentants proposèrent à mon père la direction du bureau à Alexandrie, d’un nouveau journal appartenant au régime, le journal Elchaab ou Algoumhouriya; mais papa a décliné cette offre». Plus tard mon père m’expliqua quand je lui avais demandé pourquoi il n’avait pas accepté cette offre, il m’expliqua que son amitié et sa fidélité au Roi l’empêchaient de l’accepter, c’était un homme de principe. Ce fut là une grande leçon sur l’amitié et la loyauté qu’il m’avait donné. Oui, j’affirme sans subjectivité aucune, que mon père était un homme honnête, qu’il n’avait à aucun moment vendu sa plume, qu’il est mort pauvre et qu’il était fidèle en amitié. Il n’y a pas très longtemps je me suis remémoré certaines images de l’époque, des choses dont je me suis aperçus et que j’avais enfuis dans ma mémoire d’enfant. Le bureau de la rue El-Falaki, dans la pièce principale qui faisait l’angle de la rue avec le boulevard Saad Zaghloul, il y avait un grand balcon sur lequel était fixé un grand mat sur lequel flottait le drapeau du royaume d’Egypte. Or après le coup d’état et le changement de drapeau national survenu suite à la proclamation de la république, mon père fit enlever le mat pour ne pas avoir à arborer les couleurs de la république. Le mat et le drapeau du royaume furent conservés par lui dans un endroit caché du bureau en attendant un éventuel retour à la royauté. Je me rends compte aujourd’hui, qu’il avait longtemps espéré un éventuel retour du Roi, mais la volonté divine en avait décidé autrement.
Pour revenir à notre affaire, mon père recevait en sa qualité de journaliste un exemplaire gratuit de la parution du jour de chaque journal et revue, de chaque établissement de presse mais qu’il fallait aller les chercher tous les jours à chaque siège de journal qui se trouvaient tous au centre ville, c’était la tradition. Quelques temps après le départ de mon frère Azmi, c’est avec ce prénom qu’on préférait l’appeler dans la famille, mon père avait envoyé mon frère Saïd chercher les journaux du jour. Une demi-heure plus tard celui-ci était revenu affolé et rentra dans le bureau de mon père en brandissant le journal « Algoumhouriya » et « Almasa’e » avec en principale manchette « Le traître Mahmoud El Gohary ». Je ne me souviens pas de ce qu’il y avait d’autres comme littérature, mais je me souviens des photos de mon frère, seul, avec sa femme ou avec des amis. J’y étais, parce que mon père nous amenait avec lui au bureau pour nous confier des petites tâches ou nous laisser lire les journaux et les revues ou lires des bouquins. Mon père cacha le journal en question et nous donna le reste des journaux. « Algoumhouriya » et « Almasa’e » était les seuls journaux qui en avaient parlé. Drôle de coïncidence, le photographe qui avait pris ces clichés y travaillait, il était un ami intime de mon frère. Je ne citerai pas son nom, mais je pense qu’il a dû subir une pression monstre pour trahir son ami ou peut-être aurait-il reçu des menaces, mais ce qui est certain est qu’il a eu beaucoup de prérogatives en tant que photographe de presse accrédité auprès de la présidence de la république. Je pourrai comprendre ses raisons quelle qu’elles soient, peut-être, même sûrement qu’il n’avait pas le choix. Peu importe, mon père continuait à le recevoir et mon frère Azmi renoua avec lui à son retour en Egypte en 1972, la vie est ainsi faite.
Ce qui s’était vraiment passé, je ne l’ai appris que beaucoup plus tard, de la bouche de mon père, de mon frère Hussein, de Boudour la première femme de Azmi mais aussi de la bouche de mon frère Azmi lui-même quand je l’ai rencontré à Paris, à l’hôtel Georges V, quelques 17 ans plus tard au printemps 1971. Azmi déçu et ulcéré du mauvais traitement subi suite à son différent avec sa hiérarchie au service de renseignements égyptien, avait décidé de déserter l’Egypte ne voyant pas d’issue à son problème. Il s’était mis d’accord avec sa femme enceinte pour que celle-ci le rejoigne en Europe. Mon frère était parti à Athènes comme prévu puis il a faussé compagnie au groupe ainsi que son collègue qui avait aussi subi le même traitement et se sont rendu au Liban. Quand les services de renseignements ont réalisé ce qui s’était passé, ils ont envoyé leurs sbires aux trousses de mon frère et de son collègue. Le malheureux collègue a été vite capturé et ramené en Egypte, drogué et ligoté enfermé dans un cercueil comme c’était la procédure et plus personne n’a entendu parler de lui, même qu’il n’aurait jamais été jugé. Mon frère quant à lui a pu leur échapper en direction de l’Europe après s’être procuré un passeport libanais. Les premiers temps il ne restait pas plus de trois jours dan un pays, jusqu’à ce qu’il ait pu se procurer d’autres passeport et changer d’identité. Tous s’accordent à dire que mon frère n’avait pas trahi, même le colonel Nasser a reconnu dans un de ces discours radiodiffusés, et que j’avais entendu: « Je n’ai pas de preuves sur la trahison de Mahmoud El Gohary », mais mon frère fut jugé par contumace et condamné à mort.
Azmi me raconta qu’il avait pu obtenir une entrevue avec Nasser à New York quand celui-ci s’y était rendu pour assister à l’assemblée générale de l’ONU. Mais Nasser n’a pas voulu intervenir dans cette histoire et lui a simplement répondu par un adage égyptien « éloigne-toi du mal, et chante-lui une chanson » ce qui veut dire reste tranquille et laisse tomber. Effectivement Azmi n’avait pas trahi, la preuve est que tout le réseau d’espionnage pour le compte d’Israël avait pu être appréhendé et jugé.
Quant à Boudour, l’épouse de mon frère, que Dieu l’ait en sa miséricorde, son passeport lui avait été retiré, et fut obligé par ces mêmes services de demander le divorcer si elle ne voulait pas avoir d’histoire avec eux. Il faut savoir qu’elle était enceinte et qu’elle avait accouché en décembre 1956 d’une petite fille qu’elle appela Ramzia du surnom de ma mère. Malgré tout elle resta en contact avec notre famille ; elle ne s’était jamais remariée. Elle n’avait jamais cessé d’aimer mon frère, elle me l’avait dit un jour pendant un séjour dans notre famille. Elle est décédée, me semble-t-il en 1971. Elle fut une très belle femme d’une extrême gentillesse. Ramzia, ma nièce qui n’avait jamais connu son père, resta avec ses oncles maternels jusqu’au retour de mon frère en 1972, sous le mandat du feu Président Sadate, que Dieu ait son âme en paix et en miséricorde. C’était le président Sadate qui avait fait abandonner les charges contre mon frère par le biais Mamdouh Salem premier ministre de l’époque et Sayed Fahmi son ministre de l’intérieur, ils étaient tous les deux des amis de mon père et qui l’avaient aidé à plusieurs reprise pour atténuer le mal que faisaient les services du renseignement. Ce maudit régime sanguinaire avait empêché une fille de connaître son père, la petite Ramzia avait 18 ans lorsqu’elle a vue son père pour la première fois. De tous les officiers du coup d’état du 23 juillet 1952, le Président Sadate reste avec le Général Naguib qui avait exprimé ses regrets plus tard le seul officier humain et respectable de toute la clique qui se faisait appeler les officiers libres. Personnellement je garde ma reconnaissance au feu Président Sadate, pour son humanisme et son sens de la justice ; il est vrai que l’erreur avait été corrigée mais les conséquences néfastes restent présentes car le mal causé n’a jamais pu être effacé. En effet les liens familiaux entre mes frères s’en sont resentis et la famille se désintégra après le deces de mes parents en1973.
Quand cette affaire éclata, les autorités avaient retiré les licences des journaux appartenant à mon père lui interdisant tout travail journalistique, ceci voulait bien dire que mon père et les huit enfants qui dépendaient de lui, serait réduit à la misère, c’était pire qu’une sentence de mort. Voila ce dont étaient capable ces monstres humains qui dirigeaient le pays au nom du peuple. Je peux dire à qui veut l’entendre qu’étant enfant j’avais connu la faim du seul fait de ce régime usurpateur et totalitaire, certes nous n’étions pas les seuls mais les faits sont là. Mon père possédait une petite imprimerie pas très loin du bureau, situé dans une rue parallèle du boulevard Saad Zaghloul. Il a été obligé de licencier les ouvriers imprimeurs qui y travaillaient, il n’a gardé qu’un jeune apprenti qui s’appelait Gaber Attia. Celui-ci faisait office d’imprimeur et d’homme à tout faire. Il est resté avec mon père jusqu’à la disparition du journal fin des années soixante. Comme il était encore jeune, mon père a pu lui trouver un travail à l’imprimerie du journal des douanes d’Alexandrie. Bref, pas mal de bouches à nourrir se sont trouvées à la rue. Mon père a du se défaire de l’imprimerie et n’a gardé du matériel que le strict nécessaire, le reste fut vendu à des prix dérisoires, l’argent récolté a servi à payer leurs droits aux ouvriers et le peu qui était resté, mon père l’utilisa pour nourrir sa famille. Mon père n’avait pas d’autres employés au bureau à part mon frère Hussein qui collaborait aussi avec le Journal d’Egypte, quotidien de langue française, mais pas pour très longtemps pour des raisons qui lui sont propres mais aussi qu’il n’y avait rien à faire. Il a dû aussi licencier les deux jeunes plantons qu’il avait au bureau et qu’il ne pouvait plus garder, il leur avait trouvé un travail ailleurs.
Ces deux plantons avaient une histoire qui mérite d’être racontée et que je tiens essentiellement de mon frère Hussein. L’un était un jeune soudanais, se prénommant Sabri et l’autre un égyptien se prénommant Saïd. Les deux passait pas mal de temps avec mon frère Hussein qui s’occupait du bureau. Comme leur taches au bureau ne les occupaient pas à plein temps, mon père les avait inscrits à des cours de soir, afin qu’ils puissent faire des études et occuper leurs moments perdus ! Il chargeait, mon frère Hussein d’aller payer leurs frais d’inscriptions. Hussein préférait le jeune égyptien qui manquait d’entrain et qui avait été, me semble-t-il, à l’origine de l’initiation de mon frère aux drogues douces, notamment le « Hachich ». Le jeune soudanais était un garçon plutôt sérieux et qui lui était antipathique. Alors, Mon frère remettait l’argent de l’inscription à Saïd, l’Egyptien, que se dernier dépensait pour tout autre chose que de payer ses études. Et, pour enquiquiner Sabri, le Soudanais, Hussein allait lui-même payer les frais de son inscription à l’école du soir, et cela avait duré quelques années. Quand mon père avait du se séparer d’eux il avait réussi à placer les deux Saïd au bureau de la maison de presse D’Akhbar El Yom à Alexandrie, quant à Sabri je ne me rappelle pas où il avait atterri, mais mon père l’avait utilisé, plus tard et périodiquement, lorsqu’il était devenu étudiant en médecine, à l’université d’Alexandrie comme représentant publicitaire pour le journal. Saïd a fait sa carrière de planton à la fameuse maison de presse. Il y était toujours en1982 quand je l’ai revu pour régler avec lui une question de dégâts matériels causés par la mère de mes enfants à sa Vespa, qu’elle avait renversé avec sa voiture à l’arrêt. Je l’ai dédommagé pour un par-brise fêlé. Je ne l’avais pas reconnu de suite, mais dans la discussion il m’a dit qu’il travaillait dans les bureaux d’Akhbar El Yom. En le questionnant, j’ai vu de qui il s’agissait. Il pleurait misère ; je me suis présenté et je lui ai dit que j’étais le plus jeune fils d’Ibrahim El Gohary. Cela ne sembla pas l’émouvoir outre mesure et ne l’a pas empêche de vouloir me truander. J’ai trouvé en lui un personnage abject et détestable, je lui ai payé ce qu’il réclamait sans rechigner et je suis parti. A l’époque je gagnais bien ma vie, s’il s’était montré moins avide et plus agréable je lui aurais offert une somme plus importante, à la mémoire de mon père.
Par contre, le volet le plus émouvant, de cette histoire, me fut raconté par mon père quand j’étais en fac, il me dit : « J’étais assis dans mon fauteuil au bureau, soudain un grand Monsieur rentre au bureau. Je ne l’ai pas reconnu de suite, comme je ne vois pas très bien. Il s’est présenté : « - je suis Sabri, vous ne me reconnaissait pas monsieur Ibrahim». Je fus surpris et content de le revoir, je lui ai demandé ce qu’il devenait et il m’a dit qu’il avait fini ses études de médecine et qu’il travaillait maintenant à l’OMS. Il me dit : « c’est à vous que je dois tout ça, monsieur Ibrahim, je ne l’ai pas oublié, j’arrive de voyage et mon premier acte était de venir vous saluer ». Mon père était très ému quand il me raconta cela. Finalement Hussein sans le vouloir a rendu un énorme service au docteur Sabri.
Pour revenir à mon récit, cette année fut une année très dure, mon père n’avait plus d’argent pour nourrir sa famille, il vendait tout ce qu’il pouvait vendre pour garantir notre pain quotidien. Nous avions subi beaucoup de privations, nous ne mangions pas à notre faim, manger deux œufs au plat était un luxe que nous ne pouvions pas nous offrir tous les jours. Dieu merci, mon grand-père maternel, qui était à la retraite, nous aidait Mon frère Samir qui travaillait comme employé de banque nous payait avec son petit salaire, nos frais scolaires mon frère Saïd et moi, Hussein quant à lui mon père l’avait aidé à ouvrir un petit commerce de quartier à Moharram Bey, et nous avons survécu.
J’étais petit, aussi je ne comprenais pas tout ce qui se passait, mais je voyais, j’observais et je mémorisais, personne n’en parlait, il y avait comme une chape de plomb en ce qui concerne cette affaire. Avant qu’il ne quitte l’Egypte, j’avais avec Azmi une relation particulière, il était l’ainé de la fratrie et moi le plus jeune des garçons il me gâtait beaucoup, et était particulièrement gentil avec moi, en fait ce fut le cas de tout mes aînés, c’est normal, j’étais le benjamin. Azmi me réservait plutôt un traitement paternel, cela ne s’oublie pas. Tout ce que je savais est que mon frère me manquait, qu’il tardait à revenir ce n’est pas comme d’habitude. De temps en temps je surprenais des bribes de conversations ou j’entendais ma mère invoquer Dieu en pleurant de lui rendre son fils ; tout cela n’était pas bon pour le moral, je suis tombé malade. Je faiblissais à vu d’œil, j’arrivais à peine à marcher en traînant les pieds et si par hasard je tombais, je n’arrivais pas à me relever. Ma mère m’amena voir un médecin aux consultations de l’hôpital hellénique d’Alexandrie, qui n’a pas pu déceler le mal dont je souffrais. J’ai eu droit un traitement pour la sciatique et du calcium buvable en ampoule. J’ai précisé que le calcium était buvable parce que ma mère avait fait venir une infirmière pour me le faire injecter, celle-ci avait cru que c’était des injections. J’ai eu très mal et je marchais en boitant pendant au moins une semaine. C’est mon frère Samir qui s’était aperçu de l’erreur et j’ai pu boire le reste des ampoules. Rien à faire, l’usage de mes jambes ne s’améliorait pas, je ne pouvais plus jouer avec mes camarades à l’école, moi qui étais plein d’énergie et rapide à la course à pied. Nous avions des examens tous les trimestres à l’école et le jour de l’examen arrivé, notre professeur de gymnastique, nous faisait faire des pompes, nous étions alignés en rangs écartés et suivant le mouvement général, je m’étais allongé pour faire les pompes, mais quand il nous a demandés de nous relever, je n’ai pas pu. Aucun de mes camarades de classe n’avait osé m’aider à me relever, le professeur s’étant aperçu que j’étais toujours par terre s’était approché de moi pour me réprimander, il s’était aperçu que j’avais un problème. Il me demanda pourquoi je n’avais pas dit que j’étais malade, je lui ai dit que je ne voulais pas avoir une mauvaise note. Ce professeur était réputé pour sa sévérité, il me demanda de m’assoir à l’écart et continua à faire faire des exercices et des courses à toute la classe. Plus tard, quand j’ai ramené mon livret de notes à mon père pour qu’il le signe, il s’est aperçu que j’avais obtenu 9/10 en gymnastique, et il a sourit. Je me forçais à marcher et petit à petit j’ai remarché normalement mais je n’ai plus jamais été rapide en course à pieds comme avant.
Azmi me manquait, il manquait à tout le monde et la perspective de ne plus jamais le revoir me remplissait de tristesse qui envahissait mon être d’enfant et j’avais un sentiment comme si je l’avais perdu pour toujours. Les temps devenaient de plus en plus durs, et nous étions privés de tout. Le commerce de mon frère Hussein à fini par s’écrouler, et mon frère avait sombré dans l’alcool, la drogue et le chômage, pour ne plus jamais se relever. Mon père avait remué ciel et terre pour récupérer les licences des journaux, il avait tenu bon, faces aux problèmes que lui créaient les hommes des Moukhabarats, il avait aussi beaucoup d’amis et connaissance qui ont dû l’aider. Il avait fini par convaincre les Moukhabarats qu’il ne savait pas que son fils travaillait pour eux, et ignorait totalement où celui-ci pourrait se trouver. Mon père fut autorisé à reprendre son activité de journaliste, et les licences des journaux ont été renouvelées. La situation s’améliorait mais le mal était déjà fait, plus rien ne fut comme avant. Ce que je voudrais souligner, est le rôle néfaste des services de renseignements égyptiens dans cette affaire, cela dénote que ces gens se comportaient dans le pays comme des chiens enragés, et au lieu de défendre le pays contre ses ennemis ils s’acharnaient contre leurs frères. A mon avis, Azmi avait commis l’erreur de sa vie en acceptant de travailler avec ces gens, mais il ne pouvait pas savoir de quoi cela retournait. Cette histoire était restée incrusté dans ma mémoire, et cela m’a évité beaucoup plus tard de tomber dans le même piège que lui. Surtout que les personnes en face sur lesquelles on me demandait de travailler n’étaient pas nos ennemis.
Ma santé s’améliorait petit à petit et j’ai recouvert la possibilité de marcher. Il me faut dire qu’à l’époque je ne me rendais pas compte de la gravité de la situation et que mon intelligence d’enfant ne saisissait pas le lien entre les souffrances ressenties et le pouvoir en place en ce temps là, les déductions ne sont venu que beaucoup plus tard au fil du temps qui s’écoulait.
Ce fut une année pleine d’épreuves dures pour toute la famille, nous sommes en 1955, j’étais en classe de 9ème en tout début d’année scolaire. Mon frère Mahmoud-Azmi qui travaillait comme journaliste, je pense que c’était au « journal d’Egypte », avait été recruté par les services de renseignements égyptiens. Je ne sais quelle mouche l’avait piqué pour accepter de travailler pour ces gens, lui qui avait débuté sa carrière sous le règne du feu Roi Farouk, et qui avait côtoyé les grands de la nation. Peut être que c’est l’illusion de la gloire ou le syndrome de l’agent secret qui l’avait fait tomber dans l’escarcelle de ces monstres sans foi ni loi qui ne connaissent aucune barrière morale ou religieuse ni aucun sens de l’honneur. Ils lui ont fait suivre un stage de commandos pour le former aux techniques de combats, et d’autres formations qui s’imposent dans ces cas. Il avait infiltré un important réseau d’espionnage israélien en Egypte, piloté de l’étranger. Il était obligé de voyager souvent. Je suis désolé de ne pas connaître tous les détails, mais il faut comprendre que je n’avais que neufs ans à l’époque, et mon père était le seul à être au courant avait totalement occulté cette affaire pour protéger sa famille et son fils et de part son caractère c’était une tombe quand il s’agît de secret. D’après ce que j’ai pu retenir est qu’un désaccord est survenu entre mon frère et sa hiérarchie à propos d’un voyage qu’on lui demandait d’effectuer pour filer un dénommé Rouchdi Alchawa qui partait pour Athènes où il devait rencontrer une personnalité Israélienne. Mon frère avait une objection, cette filature risquait de le démasquer en tant qu’agent infiltré aux yeux du réseau et mettait sa vie en danger. Résultat, sa hiérarchie au sein du service de renseignements égyptiens, a estimé que mon frère s’était rendu coupable d’insubordination, son chef a décidé de le soumettre à la punition corporelle, il fut donc fouetté. J’ai le souvenir d’un soir, mon frère et de mon père en conciliabule à voix basse, dans la chambre de mon frère, quand je suis rentré dans la chambre de mon frère que j’aimais beaucoup. Ils m’ont dit de sortir de la chambre, mais j’avais eu le temps d’apercevoir que le dos de mon frère était couvert de stries ensanglantées c’était les marques du fouet. La femme de mon frère qui était enceinte était dans sa famille au Caire, mon frère, quant à lui, devait voyager à l’aube. Je suis allé me coucher et le lendemain quand je me suis réveillé, mon frère était parti et je ne l’ai revu que 17 ans plus tard, à Paris.
Mon père qui était journaliste et propriétaire du journal Itihad el-Charq, avait un bureau au centre ville, ce bureau se trouvait au n° 12 rue Mahmoud Pacha El Falaki, au premier étage de l’immeuble appartenant au Comte Miguel Debanne, dont les armoiries où figuraient trois mouches alignées ainsi qu’une couronne, étaient sculptées sur le mur dans le hall de l’immeuble. Cet immeuble faisait l’angle avec le boulevard Saad Zaghloul, une position stratégique du centre ville. A l’origine le bureau était constitué de quatre grandes pièces, dont j’ai le souvenir, depuis avant la révolution, quand mon père le partageait avec Monsieur Elie Politi qui était propriétaire du journal « l’Informateur Financier et Commercial » tandis mon père était le correspondant du journal « El Balagh », journal officiel du parti Wafd. Mon père offrait l’hospitalité de son bureau à Fouad Serag-el-din Pacha, pour l’utiliser comme son bureau quand il se trouvait à Alexandrie. Celui-ci était un des ténors du parti Wafd et ancien ministre de l’intérieur du gouvernement de Nahas Pacha, sous le règne du feu Roi Farouk que Dieu l’ai en miséricorde. Il y avait aussi à l’étage deux grandes pièces de bureaux des deux frères architectes les Frères Thabet, dont l’un s’appelait Ali Thabet. C’était des gens discrets sérieux et de très bonne famille. Mon père occupa seul ce bureau depuis la cessation de son ami Elie Politi d’exercer le métier de journaliste au journal l’informateur, lequel journal, il avait également cédé à mon père suite aux problèmes qu’il avait eu avec le fameux tribunal de la révolution qui l’avait déchu de sa nationalité égyptienne par décision du 3 juin 1955. Au rez-de-chaussée, il y avait des locaux commerciaux tout au tour dont la fameuse Pharmacie Matta qui occupait l’angle avec le boulevard, juste sous l’ancien bureau de mon père. Elie Politi était un juif arrivé de France vers la fin des années 20 du siècle dernier. Il était totalement désargenté quand mon père l’avait connu, mais c’était quelqu’un de brillant. C’était vers cette époque que mon père fit sa connaissance, il lui avait trouvé un travail pour lequel il fut payé 6 riyals équivalant à une Livre et 20 Piastres. Le terme riyal était utilisé pour désigner la somme de 20 piastres que moi-même avait connu et utilisé dans mon enfance. Selon les dires de mon père ce montant lui permettait de se nourrir, de s’habiller, de payer son loyer et même de faire des économies. Il fonda L’informateur Financier et commercial journal hebdomadaire qui paraissait en langue française. Quelque temps plus tard, il a travaillé puis à la Banque Egyptienne du Commerce et très vite il grimpa les échelons et devint le directeur de la banque. Il devint rapidement très riche et accéda au conseil de l’administration de la banque dont il posséda les trois-quarts des actions. Cet autodidacte fut certainement un homme travailleur et surtout très intelligent. Il fut également promoteur immobilier et aida au développement de la nouvelle ville de Moqattam près du Caire mais aussi la station balnéaire de Maamoura à l’est d’Alexandrie limitrophe du palais de Montazah. Il s’était associé également avec Mahmoud Abou El-Fath pour la création du journal El-Masry qui fut un journal politique très influent durant les années 40 et 50.Mahmoud Abou El-Fath fut le rédacteur en chef de ce journal auquel étaient associé de grands noms de journalistes tels que Simon Baranes. Ce journal fut fermé par les autorités du coup d’état en 1954. Mais malgré cette ascension sociale fulgurante il garda une amitié sans faille pour mon père. Quand il fut déchu de sa nationalité égyptienne, je ne sais pour quelle raison, peut être pour saisir sa fortune car il a été mis sous séquestre ou pour d’autres raisons car il faut signaler que son associé Mahmoud Abou El-Fath avait été déchu auparavant de sa nationalité égyptienne en septembre 1954 et qu’il fut jugé par contumace pour trahison. Plus tard, Elie Politi fut expulsé d’Egypte ainsi que sa famille en 1956 à la suite de la guerre de Suez. Ils s’étaient rendus en France pour s’y établir et nous n’avons plus eu de leur nouvelles. Je n’ai pas de souvenir personnel de Monsieur Politi mais mon père disait toujours du bien de lui mon mes seuls souvenirs de lui étaient les jouets qu’il me faisait parvenir quand j’étais enfant. Quand j’ai quitté l’Egypte en 1970 je me suis établie en France j’ai recherché leurs coordonnées, j’ai appelé et c’est madame Politi qui m’avait répondu, je m’étais présenté, elle avait reconnu mon nom elle fut contente d’avoir des nouvelles d’Egypte mais s’excusa de ne pas pouvoir me recevoir car son mari était décédé et qu’elle-même était d’un âge très avancé. Oh combien j’aurais aimé écouter ses souvenirs, hélas !
Mon père avait toujours témoigné un grand respect et une grande loyauté envers le Roi Farouk. Il me racontait parfois quand j’ai grandi que le Roi Farouk le traitait avec beaucoup d’égard alors qu’il était juste un correspondant parce que mon père, contrairement à beaucoup de journalistes de l’époque, n’avait jamais dit du mal de lui. Aussi, un jour qu’il n’avait pas été invité par le « Diwane » ou le cabinet royal, à une des réceptions royales au palais de Ras-el-Tine, le Roi avait remarqué l’absence de mon père, il demanda au responsable : Où est Ibrahim el Gohary ? Quand le Roi avait appris que mon père n’avait pas été invité, s’était mis en colère et exigea qu’on le ramène de suite ! Ses propos ont été relatés par le responsable qui avait contacté mon père et lui demanda de se rendre immédiatement à la réception. En fait mon père avait subis les conséquences d’avoir fait honorablement son métier. Il s’agissait de la dénonciation d’une grande affaire de corruption appelé à l’époque « l’affaire Smouha » dans laquelle était trempé l’ancien directeur des douanes d’Alexandrie. Ce monsieur fut sorti d’affaire grâce à son cousin Ismaïl Sidki pacha ancien premier Ministre et l’affaire fut classée. Mais ce monsieur dans sa rancune s’en était pris à mon père et le fit évincer du conseil de l’administration de la Chambre de Commerce d’Alexandrie, dont il était l’un des fondateurs, car mon père avait commencé sa vie professionnelle comme marchand de bois. Allant plus loin ce monsieur voulant nuire à la carrière de journaliste de mon père usa de l’influence de son cousin Sidki pacha pour annuler l’accréditation de mon père au Palais Royal et ce fut chose faite jusqu’à ce que le Roi Farouk rétablisse la situation, une fois qu’il fut au courant des détails de l’histoire les invitations officielles arrivait désormais au nom d’Ibrahim Bey el Gohary sur ordre de sa Majesté. Mon père garda une sorte de gratitude pour le Roi Farouk pour sa bienveillance et lui voua une amitié sans faille et absolument gratuite au Roi Farouk, ce n’était pas un homme qui courrait derrière les titres. Je cite ici mon frère Hussein que Dieu l’ait en sa miséricorde, il avait travaillé comme employé de banque puis comme journaliste avec mon père après la fin de ses études au collège saint Marc. Hussein, la tête brûlée de la famille, m’avait raconté : « Quand, les officiers du conseil de la révolution ont pris le pouvoir, parmi les papiers trouvés dans le palais royal, il y avait une liste où figuraient les noms des journalistes qui recevait des sommes d’argent provenant des fonds secrets alloués par le Palais pour acheter la bienveillance des journalistes, pour ne pas médire du Roi. En effet, Papa a été le seul journaliste d’Alexandrie dont le nom ne figurait pas sur cette liste. Le nouveau pouvoir en place ayant pris connaissance de ce fait, ses représentants proposèrent à mon père la direction du bureau à Alexandrie, d’un nouveau journal appartenant au régime, le journal Elchaab ou Algoumhouriya; mais papa a décliné cette offre». Plus tard mon père m’expliqua quand je lui avais demandé pourquoi il n’avait pas accepté cette offre, il m’expliqua que son amitié et sa fidélité au Roi l’empêchaient de l’accepter, c’était un homme de principe. Ce fut là une grande leçon sur l’amitié et la loyauté qu’il m’avait donné. Oui, j’affirme sans subjectivité aucune, que mon père était un homme honnête, qu’il n’avait à aucun moment vendu sa plume, qu’il est mort pauvre et qu’il était fidèle en amitié. Il n’y a pas très longtemps je me suis remémoré certaines images de l’époque, des choses dont je me suis aperçus et que j’avais enfuis dans ma mémoire d’enfant. Le bureau de la rue El-Falaki, dans la pièce principale qui faisait l’angle de la rue avec le boulevard Saad Zaghloul, il y avait un grand balcon sur lequel était fixé un grand mat sur lequel flottait le drapeau du royaume d’Egypte. Or après le coup d’état et le changement de drapeau national survenu suite à la proclamation de la république, mon père fit enlever le mat pour ne pas avoir à arborer les couleurs de la république. Le mat et le drapeau du royaume furent conservés par lui dans un endroit caché du bureau en attendant un éventuel retour à la royauté. Je me rends compte aujourd’hui, qu’il avait longtemps espéré un éventuel retour du Roi, mais la volonté divine en avait décidé autrement.
Pour revenir à notre affaire, mon père recevait en sa qualité de journaliste un exemplaire gratuit de la parution du jour de chaque journal et revue, de chaque établissement de presse mais qu’il fallait aller les chercher tous les jours à chaque siège de journal qui se trouvaient tous au centre ville, c’était la tradition. Quelques temps après le départ de mon frère Azmi, c’est avec ce prénom qu’on préférait l’appeler dans la famille, mon père avait envoyé mon frère Saïd chercher les journaux du jour. Une demi-heure plus tard celui-ci était revenu affolé et rentra dans le bureau de mon père en brandissant le journal « Algoumhouriya » et « Almasa’e » avec en principale manchette « Le traître Mahmoud El Gohary ». Je ne me souviens pas de ce qu’il y avait d’autres comme littérature, mais je me souviens des photos de mon frère, seul, avec sa femme ou avec des amis. J’y étais, parce que mon père nous amenait avec lui au bureau pour nous confier des petites tâches ou nous laisser lire les journaux et les revues ou lires des bouquins. Mon père cacha le journal en question et nous donna le reste des journaux. « Algoumhouriya » et « Almasa’e » était les seuls journaux qui en avaient parlé. Drôle de coïncidence, le photographe qui avait pris ces clichés y travaillait, il était un ami intime de mon frère. Je ne citerai pas son nom, mais je pense qu’il a dû subir une pression monstre pour trahir son ami ou peut-être aurait-il reçu des menaces, mais ce qui est certain est qu’il a eu beaucoup de prérogatives en tant que photographe de presse accrédité auprès de la présidence de la république. Je pourrai comprendre ses raisons quelle qu’elles soient, peut-être, même sûrement qu’il n’avait pas le choix. Peu importe, mon père continuait à le recevoir et mon frère Azmi renoua avec lui à son retour en Egypte en 1972, la vie est ainsi faite.
Ce qui s’était vraiment passé, je ne l’ai appris que beaucoup plus tard, de la bouche de mon père, de mon frère Hussein, de Boudour la première femme de Azmi mais aussi de la bouche de mon frère Azmi lui-même quand je l’ai rencontré à Paris, à l’hôtel Georges V, quelques 17 ans plus tard au printemps 1971. Azmi déçu et ulcéré du mauvais traitement subi suite à son différent avec sa hiérarchie au service de renseignements égyptien, avait décidé de déserter l’Egypte ne voyant pas d’issue à son problème. Il s’était mis d’accord avec sa femme enceinte pour que celle-ci le rejoigne en Europe. Mon frère était parti à Athènes comme prévu puis il a faussé compagnie au groupe ainsi que son collègue qui avait aussi subi le même traitement et se sont rendu au Liban. Quand les services de renseignements ont réalisé ce qui s’était passé, ils ont envoyé leurs sbires aux trousses de mon frère et de son collègue. Le malheureux collègue a été vite capturé et ramené en Egypte, drogué et ligoté enfermé dans un cercueil comme c’était la procédure et plus personne n’a entendu parler de lui, même qu’il n’aurait jamais été jugé. Mon frère quant à lui a pu leur échapper en direction de l’Europe après s’être procuré un passeport libanais. Les premiers temps il ne restait pas plus de trois jours dan un pays, jusqu’à ce qu’il ait pu se procurer d’autres passeport et changer d’identité. Tous s’accordent à dire que mon frère n’avait pas trahi, même le colonel Nasser a reconnu dans un de ces discours radiodiffusés, et que j’avais entendu: « Je n’ai pas de preuves sur la trahison de Mahmoud El Gohary », mais mon frère fut jugé par contumace et condamné à mort.
Azmi me raconta qu’il avait pu obtenir une entrevue avec Nasser à New York quand celui-ci s’y était rendu pour assister à l’assemblée générale de l’ONU. Mais Nasser n’a pas voulu intervenir dans cette histoire et lui a simplement répondu par un adage égyptien « éloigne-toi du mal, et chante-lui une chanson » ce qui veut dire reste tranquille et laisse tomber. Effectivement Azmi n’avait pas trahi, la preuve est que tout le réseau d’espionnage pour le compte d’Israël avait pu être appréhendé et jugé.
Quant à Boudour, l’épouse de mon frère, que Dieu l’ait en sa miséricorde, son passeport lui avait été retiré, et fut obligé par ces mêmes services de demander le divorcer si elle ne voulait pas avoir d’histoire avec eux. Il faut savoir qu’elle était enceinte et qu’elle avait accouché en décembre 1956 d’une petite fille qu’elle appela Ramzia du surnom de ma mère. Malgré tout elle resta en contact avec notre famille ; elle ne s’était jamais remariée. Elle n’avait jamais cessé d’aimer mon frère, elle me l’avait dit un jour pendant un séjour dans notre famille. Elle est décédée, me semble-t-il en 1971. Elle fut une très belle femme d’une extrême gentillesse. Ramzia, ma nièce qui n’avait jamais connu son père, resta avec ses oncles maternels jusqu’au retour de mon frère en 1972, sous le mandat du feu Président Sadate, que Dieu ait son âme en paix et en miséricorde. C’était le président Sadate qui avait fait abandonner les charges contre mon frère par le biais Mamdouh Salem premier ministre de l’époque et Sayed Fahmi son ministre de l’intérieur, ils étaient tous les deux des amis de mon père et qui l’avaient aidé à plusieurs reprise pour atténuer le mal que faisaient les services du renseignement. Ce maudit régime sanguinaire avait empêché une fille de connaître son père, la petite Ramzia avait 18 ans lorsqu’elle a vue son père pour la première fois. De tous les officiers du coup d’état du 23 juillet 1952, le Président Sadate reste avec le Général Naguib qui avait exprimé ses regrets plus tard le seul officier humain et respectable de toute la clique qui se faisait appeler les officiers libres. Personnellement je garde ma reconnaissance au feu Président Sadate, pour son humanisme et son sens de la justice ; il est vrai que l’erreur avait été corrigée mais les conséquences néfastes restent présentes car le mal causé n’a jamais pu être effacé. En effet les liens familiaux entre mes frères s’en sont resentis et la famille se désintégra après le deces de mes parents en1973.
Quand cette affaire éclata, les autorités avaient retiré les licences des journaux appartenant à mon père lui interdisant tout travail journalistique, ceci voulait bien dire que mon père et les huit enfants qui dépendaient de lui, serait réduit à la misère, c’était pire qu’une sentence de mort. Voila ce dont étaient capable ces monstres humains qui dirigeaient le pays au nom du peuple. Je peux dire à qui veut l’entendre qu’étant enfant j’avais connu la faim du seul fait de ce régime usurpateur et totalitaire, certes nous n’étions pas les seuls mais les faits sont là. Mon père possédait une petite imprimerie pas très loin du bureau, situé dans une rue parallèle du boulevard Saad Zaghloul. Il a été obligé de licencier les ouvriers imprimeurs qui y travaillaient, il n’a gardé qu’un jeune apprenti qui s’appelait Gaber Attia. Celui-ci faisait office d’imprimeur et d’homme à tout faire. Il est resté avec mon père jusqu’à la disparition du journal fin des années soixante. Comme il était encore jeune, mon père a pu lui trouver un travail à l’imprimerie du journal des douanes d’Alexandrie. Bref, pas mal de bouches à nourrir se sont trouvées à la rue. Mon père a du se défaire de l’imprimerie et n’a gardé du matériel que le strict nécessaire, le reste fut vendu à des prix dérisoires, l’argent récolté a servi à payer leurs droits aux ouvriers et le peu qui était resté, mon père l’utilisa pour nourrir sa famille. Mon père n’avait pas d’autres employés au bureau à part mon frère Hussein qui collaborait aussi avec le Journal d’Egypte, quotidien de langue française, mais pas pour très longtemps pour des raisons qui lui sont propres mais aussi qu’il n’y avait rien à faire. Il a dû aussi licencier les deux jeunes plantons qu’il avait au bureau et qu’il ne pouvait plus garder, il leur avait trouvé un travail ailleurs.
Ces deux plantons avaient une histoire qui mérite d’être racontée et que je tiens essentiellement de mon frère Hussein. L’un était un jeune soudanais, se prénommant Sabri et l’autre un égyptien se prénommant Saïd. Les deux passait pas mal de temps avec mon frère Hussein qui s’occupait du bureau. Comme leur taches au bureau ne les occupaient pas à plein temps, mon père les avait inscrits à des cours de soir, afin qu’ils puissent faire des études et occuper leurs moments perdus ! Il chargeait, mon frère Hussein d’aller payer leurs frais d’inscriptions. Hussein préférait le jeune égyptien qui manquait d’entrain et qui avait été, me semble-t-il, à l’origine de l’initiation de mon frère aux drogues douces, notamment le « Hachich ». Le jeune soudanais était un garçon plutôt sérieux et qui lui était antipathique. Alors, Mon frère remettait l’argent de l’inscription à Saïd, l’Egyptien, que se dernier dépensait pour tout autre chose que de payer ses études. Et, pour enquiquiner Sabri, le Soudanais, Hussein allait lui-même payer les frais de son inscription à l’école du soir, et cela avait duré quelques années. Quand mon père avait du se séparer d’eux il avait réussi à placer les deux Saïd au bureau de la maison de presse D’Akhbar El Yom à Alexandrie, quant à Sabri je ne me rappelle pas où il avait atterri, mais mon père l’avait utilisé, plus tard et périodiquement, lorsqu’il était devenu étudiant en médecine, à l’université d’Alexandrie comme représentant publicitaire pour le journal. Saïd a fait sa carrière de planton à la fameuse maison de presse. Il y était toujours en1982 quand je l’ai revu pour régler avec lui une question de dégâts matériels causés par la mère de mes enfants à sa Vespa, qu’elle avait renversé avec sa voiture à l’arrêt. Je l’ai dédommagé pour un par-brise fêlé. Je ne l’avais pas reconnu de suite, mais dans la discussion il m’a dit qu’il travaillait dans les bureaux d’Akhbar El Yom. En le questionnant, j’ai vu de qui il s’agissait. Il pleurait misère ; je me suis présenté et je lui ai dit que j’étais le plus jeune fils d’Ibrahim El Gohary. Cela ne sembla pas l’émouvoir outre mesure et ne l’a pas empêche de vouloir me truander. J’ai trouvé en lui un personnage abject et détestable, je lui ai payé ce qu’il réclamait sans rechigner et je suis parti. A l’époque je gagnais bien ma vie, s’il s’était montré moins avide et plus agréable je lui aurais offert une somme plus importante, à la mémoire de mon père.
Par contre, le volet le plus émouvant, de cette histoire, me fut raconté par mon père quand j’étais en fac, il me dit : « J’étais assis dans mon fauteuil au bureau, soudain un grand Monsieur rentre au bureau. Je ne l’ai pas reconnu de suite, comme je ne vois pas très bien. Il s’est présenté : « - je suis Sabri, vous ne me reconnaissait pas monsieur Ibrahim». Je fus surpris et content de le revoir, je lui ai demandé ce qu’il devenait et il m’a dit qu’il avait fini ses études de médecine et qu’il travaillait maintenant à l’OMS. Il me dit : « c’est à vous que je dois tout ça, monsieur Ibrahim, je ne l’ai pas oublié, j’arrive de voyage et mon premier acte était de venir vous saluer ». Mon père était très ému quand il me raconta cela. Finalement Hussein sans le vouloir a rendu un énorme service au docteur Sabri.
Pour revenir à mon récit, cette année fut une année très dure, mon père n’avait plus d’argent pour nourrir sa famille, il vendait tout ce qu’il pouvait vendre pour garantir notre pain quotidien. Nous avions subi beaucoup de privations, nous ne mangions pas à notre faim, manger deux œufs au plat était un luxe que nous ne pouvions pas nous offrir tous les jours. Dieu merci, mon grand-père maternel, qui était à la retraite, nous aidait Mon frère Samir qui travaillait comme employé de banque nous payait avec son petit salaire, nos frais scolaires mon frère Saïd et moi, Hussein quant à lui mon père l’avait aidé à ouvrir un petit commerce de quartier à Moharram Bey, et nous avons survécu.
J’étais petit, aussi je ne comprenais pas tout ce qui se passait, mais je voyais, j’observais et je mémorisais, personne n’en parlait, il y avait comme une chape de plomb en ce qui concerne cette affaire. Avant qu’il ne quitte l’Egypte, j’avais avec Azmi une relation particulière, il était l’ainé de la fratrie et moi le plus jeune des garçons il me gâtait beaucoup, et était particulièrement gentil avec moi, en fait ce fut le cas de tout mes aînés, c’est normal, j’étais le benjamin. Azmi me réservait plutôt un traitement paternel, cela ne s’oublie pas. Tout ce que je savais est que mon frère me manquait, qu’il tardait à revenir ce n’est pas comme d’habitude. De temps en temps je surprenais des bribes de conversations ou j’entendais ma mère invoquer Dieu en pleurant de lui rendre son fils ; tout cela n’était pas bon pour le moral, je suis tombé malade. Je faiblissais à vu d’œil, j’arrivais à peine à marcher en traînant les pieds et si par hasard je tombais, je n’arrivais pas à me relever. Ma mère m’amena voir un médecin aux consultations de l’hôpital hellénique d’Alexandrie, qui n’a pas pu déceler le mal dont je souffrais. J’ai eu droit un traitement pour la sciatique et du calcium buvable en ampoule. J’ai précisé que le calcium était buvable parce que ma mère avait fait venir une infirmière pour me le faire injecter, celle-ci avait cru que c’était des injections. J’ai eu très mal et je marchais en boitant pendant au moins une semaine. C’est mon frère Samir qui s’était aperçu de l’erreur et j’ai pu boire le reste des ampoules. Rien à faire, l’usage de mes jambes ne s’améliorait pas, je ne pouvais plus jouer avec mes camarades à l’école, moi qui étais plein d’énergie et rapide à la course à pied. Nous avions des examens tous les trimestres à l’école et le jour de l’examen arrivé, notre professeur de gymnastique, nous faisait faire des pompes, nous étions alignés en rangs écartés et suivant le mouvement général, je m’étais allongé pour faire les pompes, mais quand il nous a demandés de nous relever, je n’ai pas pu. Aucun de mes camarades de classe n’avait osé m’aider à me relever, le professeur s’étant aperçu que j’étais toujours par terre s’était approché de moi pour me réprimander, il s’était aperçu que j’avais un problème. Il me demanda pourquoi je n’avais pas dit que j’étais malade, je lui ai dit que je ne voulais pas avoir une mauvaise note. Ce professeur était réputé pour sa sévérité, il me demanda de m’assoir à l’écart et continua à faire faire des exercices et des courses à toute la classe. Plus tard, quand j’ai ramené mon livret de notes à mon père pour qu’il le signe, il s’est aperçu que j’avais obtenu 9/10 en gymnastique, et il a sourit. Je me forçais à marcher et petit à petit j’ai remarché normalement mais je n’ai plus jamais été rapide en course à pieds comme avant.
Azmi me manquait, il manquait à tout le monde et la perspective de ne plus jamais le revoir me remplissait de tristesse qui envahissait mon être d’enfant et j’avais un sentiment comme si je l’avais perdu pour toujours. Les temps devenaient de plus en plus durs, et nous étions privés de tout. Le commerce de mon frère Hussein à fini par s’écrouler, et mon frère avait sombré dans l’alcool, la drogue et le chômage, pour ne plus jamais se relever. Mon père avait remué ciel et terre pour récupérer les licences des journaux, il avait tenu bon, faces aux problèmes que lui créaient les hommes des Moukhabarats, il avait aussi beaucoup d’amis et connaissance qui ont dû l’aider. Il avait fini par convaincre les Moukhabarats qu’il ne savait pas que son fils travaillait pour eux, et ignorait totalement où celui-ci pourrait se trouver. Mon père fut autorisé à reprendre son activité de journaliste, et les licences des journaux ont été renouvelées. La situation s’améliorait mais le mal était déjà fait, plus rien ne fut comme avant. Ce que je voudrais souligner, est le rôle néfaste des services de renseignements égyptiens dans cette affaire, cela dénote que ces gens se comportaient dans le pays comme des chiens enragés, et au lieu de défendre le pays contre ses ennemis ils s’acharnaient contre leurs frères. A mon avis, Azmi avait commis l’erreur de sa vie en acceptant de travailler avec ces gens, mais il ne pouvait pas savoir de quoi cela retournait. Cette histoire était restée incrusté dans ma mémoire, et cela m’a évité beaucoup plus tard de tomber dans le même piège que lui. Surtout que les personnes en face sur lesquelles on me demandait de travailler n’étaient pas nos ennemis.
Ma santé s’améliorait petit à petit et j’ai recouvert la possibilité de marcher. Il me faut dire qu’à l’époque je ne me rendais pas compte de la gravité de la situation et que mon intelligence d’enfant ne saisissait pas le lien entre les souffrances ressenties et le pouvoir en place en ce temps là, les déductions ne sont venu que beaucoup plus tard au fil du temps qui s’écoulait.
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